COCU POUR COCU...

Publié le par Unité Populaire

« Cocu pour cocu, je préfère ne pas être consentant, alors je ne vote pas. » me murmurait Michel Audiard du fond de je ne sais plus quel recueil. J’aurais mieux fait de l’écouter, ça m’aurait fait économiser un timbre, d’autant que les timbres justement, comme tout ce qui concerne la Poste en général, ça a tendance à furieusement augmenter ces dernières années. Certaines mauvaises langues vous diront que c’est en rapport avec la montée de l’UDC et des idées libérales en général dans ce gouvernement – les gens sont méchants.


La tendance générale des élections nationales d’hier, vous les connaissez : renforcement de l’UDC et des Verts, écrasement graduel et tragicomique du Parti Socialiste (bon débarras). Je n’en ferai pas mystère, cette année, je me suis laissé tenter par un vote rouge. Ca fait un moment que j’ai pris mes distances avec l’"extrême-gauche" (maintenez les guillemets) mais j’ai décidé de voter Denis de la Reussille, candidat du Parti Ouvrier Populaire (POP), parce que c’est un bon type tout à fait capable. J’ai eu l’occasion de discuter quelquefois avec lui et il m’a donné l’impression d’avoir les pieds bien sur terre et de se démarquer clairement de la clique politicarde habituelle qui sévit à droite comme à gauche. Denis, c’est un homme de terrain, qui a largement fait ses preuves au Locle, la commune dont il est président, et qui aurait fait, j’en suis sûr, un bon conseiller national. Perdre un Vanek pour gagner un de la Reussille, ça aurait été tout bénef pour la gauche. Il a d’ailleurs fait un score tout à fait remarquable mais un seul leader ne suffit pas à tirer toute une liste et c’est là ça a coincé. Tant pis, ce sera pour une autre fois.

 

Je n’aurais peut-être pas dû faire cette confession électorale, on va le prendre pour un coming’out et je vais me refaire à nouveau, comme au temps de mes jeunes années, traiter de sale rouge, de "gauchiste" (ne touchez pas aux guillemets), de néo-stal, j’en passe et des meilleures. Ces aboyeurs-là n’ont qu’à aller faire un tour ici même, sur mon blog, et ils verront bien que je ne tombe pas sous leurs étiquettes périmées ; ils verront aussi que j’ai plein d’autres vices auxquels même les plus fieffés "gauchistes" (n’approchez pas des guillemets) se refusent avec un frisson de dégoût, de ces fruits défendus dont le peuple est si friand et qui donne des sueurs froides aux partis de toutes les couleurs...

 

Les Verts – c’est un phénomène qui se précise – font une percée remarquable. C’est dans l’air du temps. Tant mieux. Les écolos, on en a besoin, je ne reviens pas là-dessus. Au moins, le programme des Verts, on le connaît depuis trente ans, il y a une constance qui force le respect. Les gentils bonimenteurs de la jeune droite cool et décomplexée, eux, ne se sont découverts une âme écolo que depuis le début de la campagne (il suffit de relire leurs prises de position au Parlement, leurs pedigrees parlent pour eux). C’est un peu court. Le plus médiocre des Verts sur un siège du Conseil national sera toujours moins nuisible à la biosphère que le meilleur de ces nouveaux sophistes d’un lobby bourgeois pompeusement appelé Ecologie Libérale. Je mets au défi M. Christian Blandenier, candidat libéral neuchâtelois, de me contredire sur ce point, lui qui a été incapable de répondre à une question simple que lui avais posé lors d’un débat public : comment concilier libéralisme et responsabilité environnementale ? comment justifier, pour un "écologiste libéral" (prenez bien soin des guillemets) comme il prétend l’être, qu’on fasse venir de l’autre bout du monde (souvent à grand renfort de kérozène pas très propre) des biens de consommation qu’on peut tout à fait produire chez nous ? Sa réponse a été d’une remarquable concision : « Sachez, Monsieur, qu’on peut être écologiste sans être marxiste. » Me voilà éclairé...

 

L’UDC, elle aussi, a fait un score historique lors de ces élections fédérales. On peut l’en féliciter, elle le mérite. Elle le mérite car les blochériens ont fait exactement tout ce qu’il fallait pour ramener à eux le maximum de voies, ce qui, en dernière analyse, est le but qu’on se fixe lorsqu’on participe à une élection. Je donne cette précision, car aussi difficile à comprendre que cela soit, ce n’était pas le but visé par la droite "classique" (méfiez-vous des guillemets) ni par le Parti Socialiste. Non, eux, vraiment, je crois qu’ils ne cherchaient pas à remporter la mise. Prendre le pouvoir, ce n’est pas leur truc, ils préfèrent laisser ça aux "populistes" (prononcer ce mot avec une moue de mépris), ce n’est pas pour eux ces basses ambitions, et tant pis pour les brebis galeuses qui, dans le pauvre peuple, les suivent encore.

 

Non pas que le succès de l’UDC me réjouisse, non, je suis comme 70% de la population de notre pays (soit environ le taux d’électeurs n’ayant pas voté UDC), j’ai poussé un gros soupir devant les résultats d’hier soir en me disant que ça pouvait difficilement être pire. Mais il faut rendre à César ce qui appartient à César : l’UDC a joué le jeu, elle l’a joué même jusqu’à ses extrêmes limites, elle a pris acte du fait que la démocratie, sous l’effet du libéralisme à l’américaine, s’était changé en ploutocratie – et elle en a tiré les conséquences. Victoire aux riches, le message est bien passé, merci. Couronnes de lauriers à gogo pour le premier parti du pays, donc, assez roublard et démocrate pour nous faire croire que sa volonté se confond dans la volonté du peuple, que tout le monde ici-bas ne rêve que de centrales nucléaires, de baisses d’impôts pour les grosses fortunes, de suppression des services publics et de grands autodafés pour les conventions collectives de travail, chiffons de papier utopiques d’un temps révolu. Mais puisqu’il faut rendre à César ce qui lui revient, soyons justes et ne concentrons pas tous les honneurs sur la seule UDC car elle n’est pas seul artisan de sa victoire. Rien n’aurait été possible sans la contribution bénévole et désintéressée (masochiste, diront certains) du Parti Radical (PRD), du Parti Démocrate Chrétien (PDC), du Parti Libéral (PLS) et du Parti Socialiste (PS), pour ne citer qu’eux, propagateurs généreux de la vulgate blochérienne à travers une multitude de contre-campagnes, contre-manifestations et contre-publicités. Même Ueli Maurer n’aurait pas osé rêver d’un soutien pareil ! Et ce n’est pas moi qui le dis, je cite Oskar Freysinger, UDC valaisan bien connu, qui disait ce matin dans Le Temps : « On aurait pu éviter de dépenser tout cet argent puisque les autres faisaient tout le travail à notre place ! »

 
Un grand bravo aux pleurnicheurs, au sainte-nitouches, aux crieurs-au-loup, aux antifascistes de salon, aux bien-pensants, aux moralistes de tous poils et de tous drapeaux, à la bonne conscience procédurière qui pense encore gagner devant le Conseil international des droits de l’homme ce qu’elle a perdu dans les rues de son propre pays. Merci aux pavloviens médiocrates de tous les partis et de tous les médias d’avoir préparé le terrain à la Suisse de demain, Suisse d’exclusion, de peur, de précarité et de chaos social, Suisse du tous contre tous, de l’entrepreunariat triomphant et du libéralisme tout-puissant. Vous avez quatre ans pour vous en mordre les doigts et prendre quelques leçons de démocratie et de communication. Qui sait, ça pourra peut-être encore vous servir. Après tout, tant qu’il y aura des élections...

 


David L’Epée, 22 octobre 2007

Publié dans chroniques

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