PAR-DELÀ LES MOUTONS NOIRS

Publié le par Unité Populaire

« Rentrez chez vous et racontez à votre famille et à tous vos amis ce que vous avez vécu ici ! » lance Toni Brunner, chef de campagne de l’UDC, à l’issue du défilé organisé samedi dernier par son parti dans la capitale. Cette phrase résume à elle seule la stratégie blochérienne de la provocation programmée et les raisons qui font que l’UDC sort gagnante des violences du 6 octobre – faisant feu de tout bois pour se présenter aux yeux de l’opinion publique comme la victime de tous les complots et de toutes les persécutions. Dans notre "démocratie du ressentiment" (pour prendre la terminologie et l’interprétation nietzschéenne), la victimisation de soi est l’arme ultime, car en bons héritier du judéo-christianisme, nous avons intégré l’idée que notre sympathie ne devait pas aller aux meilleurs mais aux victimes. Nul besoin de faire ses preuves, subir est une vertu en soi – gloire aux persécutés ! chantons-nous tous, convaincus de notre bon droit.

L’UDC l’a très bien compris, elle qui, sous certains dehors faussement virils, joue la carte des ostracisés, cible innocente des juges félons et des casseurs encagoulés. Cette attitude est d’autant plus détestable qu’elle se fonde sur pas grand chose : la conjuration parlementaire contre Blocher n’existe certainement que dans l’imagination de ce dernier, et quant aux quelques agités qui ont mis à sac il y a une semaine le centre-ville de Berne, ils ne représentent en aucune manière un danger réel pour le parti. Difficile, de plus, de jouer les victimes lorsqu’on a le budget de campagne le plus élevé de tous (plus de 15 millions), qu’on inonde le pays de tracts et d’affiches depuis des mois et des mois, et qu’on a à sa tête une clique de millionnaires peu avares lorsqu’il s’agit d’injecter dans la propagande. Non, décidemment, ça ne prend pas.

 

On m’a demandé ce que je pensais des événements de samedi à Berne. Tout d’abord, je n’y étais pas, il m’est donc difficile de juger des faits. Ces derniers sont pourtant simples : à l’issue de la contre-manifestation organisée par le groupe Mouton Noir pour bloquer le défilé blochérien, quelques centaines d’éléments plus radicaux (des blacks blocks pour faire court) ont saccagé le matériel prévu par l’UDC pour la fin de la manifestation (stands, tables, tentes, voitures, etc.) devant le regard amusé des chefs de l’UDC qui avaient prévu ce déchaînement de violence – qui l’avaient voulu – et allaient s’en servir pour rabâcher leur thèse. Nos ennemis sont des marginaux violents, des asociaux, des résidus du lumpenprolétariat, de la graîne de terroristes issue de l’extrême gauche, bref des individus qui n’ont rien de commun avec vous, peuple suisse, qui sont un danger pour vous, et si vous ne vous reconnaissez pas dans ces hordes sauvages, c’est que vous êtes des nôtres ! L’équation est simple.

 
Ils nous avaient fait le même coup en 2004 en tenant le congrès national de l’UDC à la Chaux-de-Fonds, ville de culture ouvrière et syndicale. Qu’était-ce sinon une provocation savamment pensée ? Résultat : des affrontements avec la police qui aboutiront à une quarantaine d’interpellations, dont la mienne, pour un fantasmatique "délit d’émeute". La justice nous ayant finalement donné raison, les blochériens, furieux, n’avaient plus qu’à attendre la prochaine occasion pour se faire les dents et relancer la chasse aux sorcières. La manifestation du 6 octobre à Berne était une de ces occasions. Tout comme la police genevoise, suite aux émeutes du G8 en 2002, l’UDC adopte la méthode américaine et publie sur son site quelques photos d’émeutiers (ou présentés comme tels), appelant les internautes à la délation – des méthodes de shérif pour un parti de desperados.

 
Mais au fond d’eux, les blochériens savent que ceux qui brûlent leurs voitures et arrachent leurs affiches n’iront pas voter, ni pour eux ni contre eux ; ils savent que le
"terrorisme anarchiste" signalé année après année par les rapports de la police fédérale (qui le sacre même "première menace pour la sécurité intérieure du pays" en 2004) n’est qu’un leurre grossier ; ils savent également – et c’est certainement cela le plus grave – que la plupart des jeunes et des moins jeunes qui manifestent régulièrement contre eux n’ont pas l’étoffe de révolutionnaires, ne savent absolument rien ou ne veulent rien savoir du programme économique mortifère de l’UDC, que seul un antiracisme frénétique et idéologique les fait se déplacer du Comptoir Suisse au Marché Concours, qu’on pourrait privatiser tout le pays et mettre toutes les familles sur la paille sans que ces héroïques jeunes gens ne bougent le petit doigt, tant qu’on ne parle pas de moutons noirs... La question est trop souvent éludée, mais quand comprendrons-nous que le véritable danger que représente l’UDC pour notre peuple n’est pas dans ce qui la distingue des autres partis de la droite libérale, mais dans ce qui l’en rapproche ? La laine noire des moutons qu’on voit sur tous nos murs, aussi détestable soit cette image, n’est qu’un nuage de fumée qui camoufle trop bien l’identité de fond de ce parti ultralibéral : l’anti-peuple, l’anti-Suisse, le sacrifice des droits sociaux et de la souveraineté populaire aux milieux de la finance, et ce au nom d’un vernis de patriotisme purement instrumental.

 

Pour toutes ces tristes raisons, il y a fort à parier que l’UDC sortira encore grandie de ces élections, qu’elle renforcera sa présence au Parlement, que Christophe Blocher sera réélu au Conseil fédéral, et que la faute en reviendra principalement aux idiots utiles, de gauche comme de droite, qui ayant passé tout l’été à pleurnicher sur une stérile polémique de moutons noirs, se retrouvèrent fort dépourvus quand la bise fut venue...

 

 

David L’Epée, 13 novembre 2007

Publié dans chroniques

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